Rencontre de trois types
Agar au désert · deformanda
Travail d’écriture de mes études à la hets, sur une rencontre au temple de Plainpal.
Bénédiction. Amen. Musique.
Fin du culte, c’est le moment de ma clope.
Je traverse l’allée de canapés, j’ouvre la porte du temple. Sur le parvis, je descends quelques marches et me retrouve au bord du carrefour de Plainpalais.
Devant moi, des gens marchent vers le marché. Derrière eux, un défilé de bruits de voitures.
Sur le trottoir ensoleillé, j’ai mon premier moment de relâche de la journée. Je sors ma blague, en extrait une feuille, y dépose un filtre et du tabac. Je roule.
Au moment où j’allume ma première clope d’après-culte, c’est toujours la même phrase qui me vient à l’esprit : « Mon culte était nul ! » Avec le temps, j’ai appris que cette pensée passe. Quand il y a de nouveau de la place en moi pour de l’estime, je me félicite de l’ouverture de la célébration en citant Abraham, père d’Isaac et Ismaël, de qui descendent les religions juive et musulmane. Deux semaines après le début du conflit entre Israël et le Hamas, j’avais besoin d’offrir un symbole de Paix. C’est d’ailleurs pour ça que j’avais choisi le texte biblique d’Agar au désert en Genèse 21,14-21.
Ma clope terminée, je retourne à l’intérieur du temple. Le repas communautaire est en train de se mettre en place. Les assiettes, services et serviettes arrivent sur la table. L’eau chauffe pour les pâtes. Une fois cuites, Hélène rajoute la sauce tomate qu’elle a préparée chez elle.
Tout est prêt. On mange.
Fin du repas, c’est le moment de ma clope.
Sur le trottoir ensoleillé, je prends une bouffée de solitude, je relâche à nouveau. Je sors ma blague, en extrait une feuille, y dépose un filtre et du tabac. Je roule.
Au moment où j’allume ma première clope d’après-repas, deux types viennent vers moi. Le plus âgé m’explique en arabe, à travers son natel qui le traduit, qu’il a trouvé dans le quartier le type qu’il accompagne. Le plus jeune a faim et soif, des plaies apparentes sur son corps, et pas de lieu où dormir. Le plus âgé a fait le bon samaritain, il l’a ramassé là où il l’a trouvé. Ils ont rencontré sur leur chemin la Police qui leur ont dit d’aller au temple.
On monte ensemble les marches, je discute debout sur le parvis avec l’aîné, son natel traduit aussi du français en arabe. J’apprends qu’il vient de Syrie, il s’est établi à Genève avec sa famille. Il me montre des photos de sa femmes et de ses enfants, sa carte d’identité et son permis de séjour suisse. L’homme blessé, assis sur le parvis, vient d’Égypte, il est arrivé dans la Cité de Calvin depuis quelques jours seulement.
Pour lui trouver un logement, il faut appeler la Hotline solidarité hébergement d’urgence. C’est dimanche, le numéro ne répond pas. Je le sais car le dimanche précédent, je l’avais appelé sans succès pour une femme sans-toit. J’appelle donc l’Unité Mobile d’Urgence Sociale. Pendant que je compose le numéro, des gens fidèles sortent. Je leur dis que l’homme a faim et soif. Ils lui servent de l’eau et du sirop et recuisent des pâtes. J’obtiens l’UMUS au téléphone, j’explique la situation. On me demande l’identité de l’homme qui a besoin d’aide. Le compagnon syrien me donne son nom et prénom. L’UMUS m’annonce qu’elle me rappellera.
Un peu plus tard, mon natel sonne, c’est l’UMUS. On m’informe que l’Unité est déjà intervenue il y a quelques jours pour cet homme. Personne ne passera aujourd’hui, malgré ses plaies. On me conseille de l’amener au Club Social Rive Gauche, à quelques pas. Ca ne me fait pas plaisir de devoir transmettre ça. Je respire, relâche, et me penche vers le traducteur du natel. Je choisis les mots pour expliquer que personne ne viendra. Le type debout comprend, il le communique en arabe à l’homme à terre. Il me dit qu’il nous laisse aller les deux au centre social. On se bénit.
La porte du temple se rouvre, Hélène apporte un Tupperware de pâtes avec sa sauce et une fourchette. J’amène mon compagnon au Club Social, Tupperware au bras. Arrivés devant le club, il est 14h18. C’est fermé depuis 14h. Je le laisse là avec de quoi manger, et essaie de lui faire comprendre qu’il doit revenir le lendemain ici. Peut-être qu’on lui donnera un lieu pour dormir. Demain.
Je rentre au temple. Les membres de la communauté ont fini de ranger et faire la vaisselle. On prend le temps de discuter de ce qu’on a vécu.
Un Syrien bon samaritain nous a amené, sur conseil de la Police, un homme ensanglanté, un Égyptien qui avait soif et faim. Michel fait le parallèle entre cette histoire et l’histoire biblique du matin
Agar, la servante égyptienne d’Abraham, est envoyée au désert avec leur fils. Lorsque leur outre est vide, Agar a peur pour la vie de son fils. Elle se tient à distance pour ne pas voir mourir Ismaël. Dieu lui ouvre les yeux et elle voit un puits. Celui qu’elle a enfanté est vivant !
En faisant ce lien, Michel a ouvert nos yeux à la dimension spirituelle de notre expérience. La communauté a pris soin de deux types de passage, répondu à leurs besoins du moment, a ouvert ses yeux au Vivant. La Parole s’est incarnée.
Pour se quitter, on relit un extrait de la prière de Suzy Schell Mon Dieu caché, lue pendant la cérémonie. Dieu ma joie, […] pour l’inattendu de la rencontre, […] pour le pas à pas d’aujourd’hui et pour un moment de silence.
Silence. On sort. Je ferme la porte.
Fin du récit, c’est le moment de ma clope.